• Bulletin du 15 aout 2019

    Pour vous, au seuil de ce 15 aout, voici un très beau texte

    trouvé sur legrenierdebibiane.com

     

    Jasette à Notre-Dame

    Jean Narrache (Émile Coderre)

    Résultat de recherche d'images pour "belle tete de vierge Maris"

    J'sais ben qu'ma toilette est pas belle
    J'ai pas l'temps d'aller m'rhabiller
    Excusez ! J'rentre dans votr' chapelle
    Tout en m'en r'venant d'travailler.

    Me semble que votr' visage se penche
    Comme pour sourire à tous les gueux
    Bonne Sainte Vierge en robe blanche
    Aux bras tendus sous votr' châle bleu.

    J'voudrais vous dire ma r'connaissance
    Pour tout ce que j'vous dois d'bienfaits
    J'jargonne si mal que, quand j'y pense,
    Ça m'rabat tout d'suite le caquet.

    Pour être capable d'vous faire comprendre
    Tout c'que mon pauvre coeur voudrait
    J'peux pas trouver les mots bien tendres
    Les mots en or que ça prendrait.

    Pourtant, quand j'veux faire une jasette
    À St-Joseph ou Notr'-Seigneur
    C'est curieux comme j'ai d'la parlette
    Ça marche tout seul, puis à plein coeur.

    Ça s'comprend, j'leur parle d'homme à homme
    Vu qu'y étaient, comme moi, ouvriers,
    Quand même que j'suis pas d'la haute gomme
    J'me sens à l'aise pour les prier.

    Seul'ment, c'est une autr' paire de manches
    Pour vous parler, ô Reine des Cieux,
    M'faudrait un parler du dimanche
    Vu qu'vous êtes la Mère du Bon Dieu.

    Écoutez ma pauvre prière
    C'est celle d'un gars la larme aux yeux
    Écoutez-la, vous êtes ma mère
    Vous, Notre-Dame des Malchanceux.

    Ma mère d'la terre, j'l'ai pas connue
    J'me souviens pas qu'elle m'ait bercé
    Mais quand j'tais p'tit, vous êtes venue
    Dans mes rêves pour la remplacer.

    J'vaux pas grand chose, j'suis en guenilles
    J'vous en prie, faut pas m'en vouloir
    C'est d'même dans les meilleures familles
    Y faut toujours un mouton noir.

    J'suis l'mouton noir. Je suis la bête
    Qui sait rien faire qu'a du bon sens
    J'suis comme une espèce de poète
    Pardonnez-moi, j'ai ça dans l'sang.

    Oui, j'fais des vers, j'barbouille des livres
    J'mourrai, comme ils disent, indigent
    Mais j'm'en fous. J 'ai l'plaisir de vivre
    Sans perdr' mon temps à faire d'l'argent.

    Dans la vie, c'est comme ça qu'ça s'passe
    Quand ben même qu'on s'dégrimonerait
    On peut pas tous être "premier d'classe"
    En faut à la queue, c'est pas vrai ?

    Quand on est à la queue d'l'école
    C'pas une place au gouvernement!
    Sainte Mère ! on en r'çoit des torgnoles
    Bien plus qu'on r'çoit des compliments.

    Ah! les bêtises que j'ai mangées !
    Ah! les coups d'pied qu'j'ai r'çus dans l'dos !
    Ah! les filets d'vache enragée
    Qu'j'ai avalés sans dire un mot !

    J'suis malchanceux; c'est pas d'ma faute
    Si j'frappe pas les bons numéros
    Tandis que l'succès va aux autres
    Moi j'attrape toujours les zéros.

    Ah! croyez-moi, j'ai pas d'envie
    Contre ceux qui sont riches avérés
    Même si j'travaill'rai toute ma vie
    Sans gagner d'quoi m'faire enterrer.

    Ça, ça fait rien. Toutes mes souffrances
    J'les accepte toujours comme mon lot
    Vu que j'perds jamais l'espérance
    Que j's'rai récompensé en Haut.

    La misère, ça dure l'existence
    Mais l'ciel dur'ra l'éternité
    J'suis tellement sûr d'ma récompense
    Si j'viens à bout d'la mériter.

    J'vous d'mande ni succès ni richesse
    Pourvu qu'ma vieille ait le confort
    Puis qu'on vive ensemble not' vieillesse
    Et qu'on se r'trouve après notr' mort.

    Ma vieille, elle, son affaire est claire
    Son ciel est gagné, c't'entendu
    Moi j'sais qu'j'ai ben du ch'min à faire
    Trompez-vous pas, j'suis pas rendu.

    Pour moi, y'aurait pas d'ciel sans elle
    - Excusez si j'ai mal parlé -
    Y'a rien qu'elle qui m'rend la vie belle:
    Mon bonheur, c'est là où elle est.

    Mes pauvres vers, c'est des rimettes
    Ah ! non, c'est pas riche comme cadeau
    J'ai beau suer à m'mettre en lavette
    J'sais pas l'tour d'en faire des plus beaux.

    Acceptez-les ô Notre-Dame
    Acceptez-les avec mon coeur
    Ayez encore pitié d'mon âme
    C'est tout c'que j'demande comme faveur.

    J'ose pas espérer qu'en fin d'compte
    Vous essuierez mon front en sueurs
    Avec vot'châle bleu comme dans l'conte
    Du pauvre diable qu'était jongleur !


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